« Je souhaitais clore tout cela pour me tourner vers l’avenir » – Entretien du comte de Paris dans L’Incorrect - 16 février 2020

Entretien accordé à L’Incorrect à Dreux le 21 janvier 2020

Au début de la messe qui s’est déroulée ce 21 janvier, vous avez demandé pardon pour les fautes de vos ancêtres, en particulier celle de Philippe-Égalité à l’égard de son cousin Louis XVI. Mais vous êtes aussi descendant du frère du roi, Charles X, et votre famille réconcilie les deux traditions, orléaniste et légitimiste. Pourquoi ce geste ?

C’est ce que disait Mgr Brizard lors de son homélie : on ne peut pas passer par-dessus des événements qui ont marqué votre famille. Même si vous n’êtes pas personnellement responsable, il reste une trace et un reproche qui revient souvent: « Comment peuvent-ils être notre famille royale alors qu’ils descendent de Philippe-Égalité ? » Le décès de mon père l’année dernière, le jour même, quasiment à l’heure même, de celui du roi Louis XVI, a signifié pour moi que la boucle devait être bouclée. Comme pour le péché : il y a la faute elle-même, la peine et le pardon. Je souhaitais clore tout cela pour me tourner vers l’avenir.

Pourquoi avoir choisi la chapelle royale de Dreux plutôt que Paris pour commémorer le 227e anniversaire de la mort de Louis XVI ? C’est la nécropole de la maison royale de France.

Je souhaitais associer tous mes ancêtres à cet hommage et c’est pour cela que j’ai fait cette déclaration en employant le « Nous ». C’était un peu comme le roi avant le sacre, avec un rituel et une veillée entouré de ses chevaliers. Hier a eu lieu une adoration. Dans l’esprit chrétien, c’était aussi une manière de nous libérer de toutes les chaînes qui lient l’ensemble de notre famille.

Vous voulez aussi recommencer de la province, de votre domaine de Dreux ?

C’est un peu le pari bénédictin de Rod Dreher. On le voit déjà à l’époque de saint Augustin. Lorsqu’il arrive dans la grande ville, il s’y perd. Il perd son âme. Je crois beaucoup à l’espace de liberté des provinces. Regardez le mouvement des Gilets jaunes: ce n’est pas la France périphérique, qui est un concept très citadin. Les campagnes ne sont pas les périphéries des villes. Lorsque l’on a une terre, cela vous rend fort. La terre de France détermine la façon de vivre, c’est le cœur et l’esprit de notre nation. Elle vous fait prendre conscience que vous dépendez de quelque chose d’autre que vos propres désirs. C’est pour cela que Paris n’a pas compris le mouvement des Gilets jaunes.

Les Gilets jaunes ne se sont-ils justement pas pervertis en se rendant dans les grandes villes et en quittant leurs ronds-points ? Vous sentez-vous encore proche d’eux ?

Je me suis toujours senti proche des Gilets jaunes parce qu’au début c’est quelque chose d’assez sain. Les ronds-points interpellaient tout le monde, il y avait un esprit fraternel. Ici à Dreux, ils ont chanté à Noël, avec le curé.

Les Gilets jaunes parlaient beaucoup de 1789 et de Révolution…

Parce qu’ils se sont rendu compte que la Révolution devait lutter contre les inégalités mais que plus de 200 ans après la situation est pire.

Vous avez succédé à votre père à la tête de la maison royale de France le 21 janvier 2019. Qu’est-ce que cela a changé pour vous ?

Je menais déjà un certain nombre d’actions et assurais une présence dans les médias. Mais il y a un effet démultiplicateur: on monte en première ligne.

Votre rang vous impose de rester au-dessus des partis et en même temps de participer aux débats publics. Comment faites-vous ?

Je suis un homme de conviction par nature, mais rien ne m’oblige cependant à donner mon avis sur tout, d’être partisan ou même annoncer quel candidat je souhaite soutenir lors d’une élection. Mais je peux expliquer ce que sont mes convictions sur un certain nombre de choses comme la bioéthique, les Gilets jaunes, les grèves… D’ailleurs, si vous lisez mes interventions sur mon site officiel ou mes tribunes publiées dans la presse nationale, vous pouvez constater que je suis assez présent sur l’ensemble de ces sujets-là qui me permettent d’évoquer un grand nombre d’idées sans prendre parti pour autant. C’est mon rôle de donner ma vision de la France. Par exemple, si vous prenez le problème de la bioéthique, on remet en cause sans cesse nos fondements de société au nom du « je désire, je veux, donc j’ai des droits ». C’est le désir qui devient la norme et le droit. Or la plupart des choses ne dépendent pas de nous et c’est mon devoir de le rappeler aux Français.

Demain, vous seriez prêt à manifester de nouveau dans la rue ?

Naturellement. Je l’ai fait et je le referai sans aucune hésitation.

Le retour de la monarchie permettrait-il de réconcilier le passé avec le présent ? Un roi peut-il vraiment incarner cette unité qui manque tant à la France aujourd’hui ?

J’en suis persuadé. D’abord c’est le seul qui est capable de s’intéresser au bien commun. Il n’a pas besoin de justifier une campagne électorale et développer un argumentaire pour gagner des voix. La logique d’un monarque est complètement différente de celle d’un président de la République. Il se soucie seulement du bien du pays.

Faudrait-il repenser le concept de monarchie pour mieux l’adapter à notre siècle ?

Oui, je le pense en effet mais avec prudence. Si je devais choisir un modèle, ce serait la Suisse, malgré le fait que ce ne soit pas une monarchie, ou encore la principauté du Liechtenstein qui nous démontre par sa nature que le « meilleur des régimes, c’est le régime d’un seul, le régime de quelques-uns et le régime de plusieurs ». Regardez le Liechtenstein: il y a un équilibre entre les trois pouvoirs –celui du prince, celui du parlement et celui du peuple avec la votation. J’insiste sur le fait qu’on ne parle pas de partage du pouvoir mais d’équilibre. Je vais même vous donner un autre exemple : M. Macron s’est récemment disputé avec le Président du conseil italien. On rappelle les ambassadeurs. J’ai donc pris la décision d’écrire au président Mattarella afin de lui proposer que les 500 ans de Léonard de Vinci soient l’occasion d’une réconciliation entre nos deux pays. S’il n’y avait pas eu le président italien au-dessus de ce jeu électoral, jamais cela n’aurait été possible. En France, avec le quinquennat, le Président n’est plus au-dessus des partis. Pour rebondir sur vos propos, le cas de la Roumanie est intéressant : un système bicéphale avec une curatrice du trône, gardienne de la couronne, qui cohabite avec le Président de Roumanie.

Vous pensez que vous pourriez obtenir un statut similaire au sein de la République et quecela serait compris par les Français ?

Ce système garantit l’intégrité de la nation roumaine, c’est sa force. La princesse Marguerite est ce garant qui empêche les uns et les autres de faire n’importe quoi. La famille royale bénéficie d’ailleurs d’une allocation annuelle, et de pouvoirs dans le cœur historique de Bucarest. Me concernant, je reconnais que faire comprendre ce système aux Français serait compliqué. Mais c’est nécessaire aujourd’hui. Il faut pour cela une conjonction d’institutions qui soient prêtes et une base dans la population. Peut-être ces fameux 20 % des Français que l’on cite souvent dans les sondages? Mais à regarder de près, il est complexe de déterminer de quoi ce chiffre est réellement composé.

Les Français doivent-ils à leur tour se replonger dans leur histoire et demander pardon pour les crimes de la Révolution ?

Du chemin a déjà été parcouru depuis quelques années. C’est peut-être un démarrage. Même notre histoire
républicaine est perturbée par le régicide de 1793. On n’est plus capable de reprendre de la hauteur sur la conduite du pays. Il faut encore tenir compte de divisions qui règnent au sein des Français vis-à-vis de notre histoire révolutionnaire. Je me souviens des propos très violents à l’égard du concept monarchique tenus à l’occasion de notre mariage civil dans la mairie du VIIe arrondissement.

Seriez-vous prêt à vous investir d’une manière ou d’une autre, politiquement, afin de fédérer les Français autour de votre personne ?

Je le fais tous les jours, mais c’est aussi une question de moyens. Si c’est juste pour faire de la représentation dès qu’on vous le demande et qu’il n’y a rien derrière, cela ne présente guère d’intérêts. Je suis quelqu’un de méticuleux, je suis dans la construction. Lors de mes derniers vœux, j’ai posé les axes dans lesquels je souhaite travailler et avancer: des prises de position un peu plus politiques, des déplacements qui vont aussi dans ce sens-là et qui seront médiatisés. Je crois beaucoup à la force des campagnes, à l’importance de la terre, c’est un espace de liberté.

Quel regard portez-vous en tant que prétendant au trône de France sur  l’actuel quinquennat du président Emmanuel Macron ?

J’ai rencontré le président Macron avant qu’il ne soit candidat, chez Stéphane Bern, à l’occasion de l’inauguration de sa résidence de Thiron-Gardais, en présence du ministre de la Culture de l’époque. C’est un peu étrange à vrai dire. Il y a quelques paroles fortes. Il y a des choses étonnantes comme ce qui s’est passé Amboise et il y a aussi ce décalage par rapport à la réalité du pays. Ce n’est pas le seul fait du Président, mais aussi de personnes de son entourage qui ne semblent pas avoir mis le nez dehors depuis longtemps.

Quelle place la France devrait avoir dans l’échiquier européen ?

Vous savez, la France essaye réellement d’être un moteur, mais c’est difficile. Elle fait face à l’Allemagne qui a une vue très différente, comme d’autres pays d’Europe ont des vues opposées. Mais il faut reconnaître que la difficulté de la France, souvent, c’est de chercher l’intérêt de l’Europe avant ses propres intérêts. Elle doit chercher le bien commun de notre civilisation, qui est chrétienne. Les pays de l’Est l’ont bien compris. Il est regrettable que nous ayons perdu cela depuis longtemps. Mais j’ai confiance. La France est un pays fort et il faut que le gouvernement regarde l’intérêt de notre nation avant tout. C’est sa première responsabilité pour moi.

 

Propos recueillis par Frédéric de Natal